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Willy Schraen, un chasseur en campagne

Petite critique singulière d’un texte non littéraire mais d’un bréviaire où tous les aspects de la chasse sont évoqués : l’écologie, l’économie, la politique (avec de truculentes anecdotes).

En préambule, je tiens à rassurer tous les “ayatollahs”, “intégristes”, “illuminés”, “extrémistes de l’écologie punitive” (ce sont les noms d’ami que donnent Schraen à ces contradicteurs), j’ai acheté le livre d’occasion à moins de 2€ et n’aurai donc pas contribué à financer la Fédération nationale de la chasse à qui sont potentiellement versés les droits d’auteur.
C’est le premier point positif. 
Le second, est que la lecture du livre, relativement très ennuyeuse, apporte une quantité d’éclaircissements utiles pour désamorcer un grand nombre de stéréotypes et représentations sociales véhiculés par les chasseurs. 

J’atteste également et jure sur l’honneur, que je suis issue de la “Ruralité”, famille de paysans depuis plusieurs générations et que je vis à la campagne. Justifier de son origine rurale est un peu comme le permis de chasse. Ça ne rend pas plus intelligente, mais c’est un passeport qui donne le droit de faire et dire n’importe quoi sans que les “bobos citadins”, un autre nom donné par Schraen à ces détracteurs (écolos, défenseurs des animaux, anti-chasses, véganes, écrivains, etc.), puissent exprimer une opinion contradictoire. 

La première chose que j’ai vue quand j’ai tenu le livre entre mes mains, c’est une erreur “typographique” au dos de couverture (rien de surprenant pour un chasseur vont penser bien fort certains). Faute d’orthographe ou lapsus révélateur, Willy Schraen, 50 ans, chef d’entreprise (il vendait des fleurs, activité paradoxale pour qui en envoie des vertes et des pas mûres à longueur de temps avec une violence à peine dissimulée) est un chasseur (on s’en doutait un peu) mais aussi un “pécheur passionné”
Pécheur écrit de cette façon avec le “é” accent aigu signifie : “qui commet des péchés”.
On s’en doutait aussi. 
Non Willy n’est décidément pas un ange.
On perçoit déjà que la lecture ne sera pas seulement ennuyeuse et gore, digne des films de tueurs en série : “je reverrai toujours le cocker de Jean a moitié dévoré dans la cour de l’école primaire” ; “au fur et à mesure qu’elle mettait bas ses chiots, elle les mangeait les uns après les autres”… Elle sera aussi parfois très drôle : “dire que l’homme est l’égal de tout ce qui l’entoure c’est dire que la carotte est l’égal (sans “e” dans le texte, une autre erreur typographique) du lapin”. 
Ou encore : “La chipolata de sanglier, la merguez de cerf, sont autant de produits que nos compatriotes aimeraient avoir sur leurs barbecues”.
Bien sûr.

© Bruno Blum – Tous droits réservés

Trente ans après Bardot, les Inuits meurent, les phoques prospèrent”. 

D’ailleurs la préface d’Eric Dupont-Moretti, actuel garde des sceaux et ministre de la justice (on découvre au fil des pages que Schraen a beaucoup d’amis en politique ; ministres, président.e.s de région, président de la république… ) donne le ton dès le premier paragraphe : “Trente ans après Bardot, les Inuits meurent, les phoques prospèrent”. 

Quand on sait que la population des phoques a chuté de 90% depuis 1930, tandis que la population inuite (65 025) a augmenté de 29% en vingt ans et qu’au cours des deux prochaines décennies, elle pourrait dépasser 2,5 millions de personnes, on s’interroge sur le fonctionnement du ministère de la justice et de tout le reste aussi d’ailleurs…
Bref, tout ça c’est la faute de Brigitte Bardot qui n’est pas une rurale, donc elle ne peut pas comprendre.

Willy nous raconte dans la première partie du livre, les souvenirs d’une enfance qu’on ne perçoit pas comme très heureuse. Grand-père prisonnier et spolié de ses biens par sa famille au retour de la seconde guerre mondiale, père absent, frère déficient mental qui meurt très jeune d’une erreur de diagnostic, obésité, …, le petit Willy se passionne très tôt pour la chasse grâce à son grand-père qui l’élève et qui est aussi un passionné de combats de coqs. Ainsi “deux coqs qui s’affrontaient dans un combat à mort” étaient des “moment uniques” et forment aujourd’hui encore son “ADN”.
Son grand-père, à qui il voue un culte très fort (il lui dédicace son livre), lui apprend quand il est enfant à empoisonner sa chienne devenue trop vieille : “Il lui donna délicatement la boulette et elle la prit. Elle la mâcha doucement avec une intensité dans le regard que je n’ai jamais oubliée. Diana s’endormit quelques instants plus tard… Mon grand-père continua à la caresser longtemps… puis il se leva et commence à creuser le trou”.
Cette forme de déviance dans les sentiments affectifs reviendra en fin de livre où donner la mort s’apparente à un acte d’amour : “C’est pour finir, tenir l’oiseau dans ses mains avec une infinie tendresse, pleine d’admiration, de respect et d’émotion, avant de le sublimer dans un feu d’artifice culinaire”. Non il ne s’agit pas d’une réplique du film “Hannibal le cannibale”, mais bien d’un extrait du livre.
Une pensée de compassion pour Karine, la femme de sa vie, qui on l’espère, vieillira moins vite que lui.

Pour en revenir au petit Willy, c’est un cancre qui ayant échoué dans les études, se lance comme fleuriste sur les marchés du Nord-Pas-de-Calais. Dehors par tous les temps, il pense que c’est de là que lui vient une partie du rose de ses joues. 
Intéressant. 
Heureusement il ne va pas plus loin et ne nous explique pas d’où vient la blancheur de ses fesses. 
Il est bonimenteur, charmeur et beau parleur (il a pour modèle le fondateur du groupe Auchan) et réussit donc après cette expérience de camelot à monter sa propre chaine de magasins “Orange et vert” (les couleurs de la couverture de son livre car tout est marketing dans le monde rural) qu’il revendra pour s’occuper d’immobilier.
Fort de cette ascension sociale, il décide de s’investir en politique. Il n’hésite pas à faire du porte à porte pour inciter les ruraux (l’action se déroule toujours en Ruralité, un pays dont ne peuvent comprendre que ceux qui y sont nés) à voter pour lui. Résultat, il rentre chez lui tous les soirs complètement bourré (j’entends à nouveau les mauvaises langues me dire : “pas étonnant pour un chasseur”) mais ne fait pas de lien de causalité avec la rougeur de son nez. De même l’idée qu’avait eu le ministre Edouard Philippe, de relancer les bistrots dans les campagnes paraissait bonne mais pas suffisante, selon Schraen, il faut aussi leur assurer une proximité avec les chemins ruraux. Logique. Tant qu’à y être.
Il commence donc à se faire des amis en politique, chasse, politique, chasse, politique… et de fusils en aiguille, continue son “ascension dans le monde cynégétique”.

© Bruno Blum – tous droits réservés

Intervient alors sa rencontre avec Thierry Coste qu’il nomme “le machiavel du monde rural”. 


Interlude. 

C’est quoi un Machiavel ?  C’est un homme d’État dépourvu de scrupules qui n’hésite pas à employer toutes sortes de ruses, de tromperies pour réaliser ses desseins et servir ses intérêts.

C’est quoi le monde rural ? C’est un pays où tout le monde est chasseur.


Willy sent l’opportunité de continuer son ascension et devient donc la marionnette de Thierry Coste qui l’aide à se faire élire en août 2016 à la présidence de la Fédération de chasse. “Trente seconde avant l’annonce de mon élection, mon téléphone sonne. C’est Nicolas Sarkozy ! Il tient à être le premier à me féliciter. Je mesure toute la puissance de la politique de la fédération nationale de la chasse et comprends que Thierry a anticipé avant tout le monde…”.

Emmanuel Macron semble être le président le plus proche de lui. En assistant un soir de battue à Chambord “à la présentation d’un tableau de chasse, il reconnait la chasse comme aucun président ne l’avait fait avant lui”. Plus loin, cet “interlocuteur de choix” qu’est Emmanuel Macron, est prévenu dès qu’un ministre essaye de résister au monde cynégétique : “je soupçonne que le téléphone de De Rugy a dû chauffer un peu avant notre arrivée”.
Voici donc Willy qui mène sa route en campagne sur une autoroute politique où tous les rêves sont permis. Un exemple, celui du permis de chasse à quelques euros pour les plus modestes. 

Cependant la sécurité reste un impératif :”Bon nombre d’entre nous n’ont jamais passé un examen pour aller à la chasse, l’examen n’étant obligatoire que depuis 1975.” Ou encore “80% des chasseurs sont passés du petit au gros calibre en l’espace de 30 ans, sans jamais recevoir aucune formation”.
On comprend ses inquiétudes surtout face au vieillissement de la population des chasseurs. Mais Willy possède une solution : la Femme. Elle est selon lui l’avenir de la chasse.
Sachant qu’un féminicide sur quatre est lié à une arme de chasse, mon conseil :  faire un choix entre chasseuses ou chassées et ne pas prendre des vessies pour des lanternes.

En ce qui concerne la chasse, on lit à la page 83 qu’elle n’est en rien responsable de la diminution des espèces. Le plus souvent, ce sont la destruction de l’habitat, des sites de reproduction et de nourrissage qui en est la cause. Puis à la page 85 : “on se doit d’abattre 150 000 cormorans car ils sont responsables de la disparition des poissons des rivières”.
Faudrait savoir.
La chasse avec plus de 45 millions d’animaux tués chaque année n’est pas responsable de la disparition des espèces mais les cormorans le sont.


On en arrive logiquement à l’ingénieux slogan : “nous sommes les premiers écologistes de France”.

En peu de mots, l’écologie en Ruralité c’est facile ! Il s’agit de “réguler” et de “faire des chemins ruraux”.
On régule quoi ? C’est encore très simple. On régule tout. Même les chats. Car l’humain est un super prédateur. Son devoir est de réguler et de faire en sorte que les animaux éprouvent “la peur instinctive de l’homme”.
Ensuite on fait des chemins.
Pour pouvoir réguler. 

Normal.

Voici la vraie écologie qui n’est pas “l’écologie punitive” des “bobos écolos” que Schraen déteste par dessus tout. Ecolos, antichasses et associations de défense des animaux sont des sorcières épouvantables contre lesquelles il faut lutter “dans un esprit non plus de riposte mais d’attaque” car Willy est fait “pour l’attaque et pas pour la défense”. 

© Bruno Blum. Tos droits réservés. Dessin extrait de “La bible des Khmers verts herbivoires” disponible ici.

La fédération a structuré un service juridique afin de pouvoir mener “des contentieux de plus en plus nombreux” pour lutter contre la menace que représente les “groupes d’activistes antichasse, animalistes, véganes et autres”. 

Qui sont les autres ? On s’interroge ?

Peut-être les 80% de français opposés à la chasse à courre ? Chasse contre laquelle des “groupuscules terroristes” organisent des “attaques”

Voici maintenant que je tremble et transpire en écrivant ces lignes. 

D’ailleurs Willy nous met en garde “cela ne pourra plus durer longtemps… L’inévitable sera bientôt là”… “Heureusement que les chasseurs savent garder leur sang froid”.
On est bien d’accord avec lui. Heureusement qu’ils savent se contenir et ne déversent pas une rafale de plombs entre les yeux de quiconque ne partage pas leur point de vue.
Sinon la désertification des campagnes serait grandement aggravée.

Schraen évoque la “dérive sectaire” des associations de protection de la nature qui doivent davantage dialoguer avec les chasseurs pour ne pas se faire emporter par le courant animaliste ou même disparaitre “au profit de courants de plus en plus dangereux, voire terroristes” :
Pour obtenir des subventions ils sont prêts à tout”.
Si les chasseurs n’étaient pas là, la plupart des espèces chassables auraient disparues.
“Travailler main dans la main avec les chasseurs pour mieux protéger les espèces”.
Voilà le retour de Willy le bonimenteur qui vend sur le marché sa camelote auprès d’un public séduit par son bagou. Pour un peu on se laisserait tenter par l’achat du dernier balai magique et du chiffon nettoie tout en fibre de bambou…

Les écolos sont les ennemis du monde rural et veulent “la disparition de la chasse” !
Cette fois nous découvrons que les chasseurs ont des prédateurs … qui les régulent. Ouf !


Mais voilà bientôt enfin la fin du livre. Schraen s’adresse à ses compatriotes du monde rural.

Il est admissible de tuer une dizaine d’oiseaux chacun par journée de chasse, guère plus.
On peut aussi si on préfère, espacer la chasse et faire de plus gros tableaux. Il y a aussi des journées d’exception qui permettent de réaliser son rêve et de faire un très très très gros tableau de chasse.

C’est de l’écologie totale. On se lâche. On flingue tout.

Cependant : “Il y une chose que nous devons apprendre à maitriser, c’est la communication visuelle de nos tableaux de chasse”. Il faut savoir “raison garder” et éviter de mettre en photo sur Facebook les cadavres car les “bobos citadins écolos terroristes” qui n’y connaissent rien “risquent d’en faire une mauvaise interprétation”.

© Bruno Blum. Tos droits réservés. Dessin extrait de “La bible des Khmers verts herbivoires” disponible ici.

Pour finir, une bonne nouvelle : le traditionnel “gros con de chasseur” ne fâche plus Willy. On peut donc le dire sans peur ni scrupule car “seuls le dialogue et la pédagogie” doivent être les armes des chasseurs”.
D’autre part, il conseille  par sécurité d’éviter de tirer si “des plombs risquent de retomber sur une habitation”. 
Sympa.
Et enfin ne pas employer les termes “bébé blaireau” ou “bébé renard” car cela sensibilise trop l’opinion publique aux actions écologiques des chasseurs que sont le déterrage et le génocide des renards.

Après s’être ennuyé pendant de longues pages, la lecture s’achève avec quelques perles :

La chasse est à l’origine probable du développement intellectuel supérieur de l’espèce humaine”.
C’est bien connu. On a cru au siècle des lumières mais en réalité c’était celui de la chasse.

Ce sont ceux qui n’ont jamais vu un arbre ailleurs que dans un parc qui nous font la leçon”.
C’est la seule fois où Willy Schraen, premier écologiste de la Ruralité, écrit le mot “arbre” dans le livre.

Ne faisons pas l’erreur de ne pas regarder dans les yeux tous ceux qui veulent nous détruire”.
Encore une fois, les chasseurs sons les proies des dangereux animalistes. 

Il faut redonner un pouvoir de police à la chasse française”.
Sans commentaire. On imagine le tableau de chasse de rêve avec la régulation des écolos.

Le livre se referme sur ces questions : “la chasse est-elle dépassée ? Est-elle d’arrière garde ? Ringarde ?”
 
On pense qu’avant de conclure, Willy Schraen aura fait une relecture complète du livre ce qui l’aura amener à ce fugace éclair de génie précurseur d’une prise de conscience.

Oui sans aucun doute la chasse est ringarde. 
Dépassée. 
D’arrière garde. 
Sadique.
Et meurtrière. 
CQFD.

Christelle GOSSART
27 Décembre 2022