Publié le Laisser un commentaire

Entretien avec Roger Lahana, président de No Corrida

De quand date ton engagement pour la cause animale ? 

J’ai été attiré par le bouddhisme tibétain au milieu des années 70 du siècle dernier, j’ai même fondé l’un des tout premiers centres bouddhistes tibétains en France avec trois autres personnes dans la banlieue de Toulouse où j’habitais à l’époque. Un des enseignements fondamentaux est le respect de toute forme de vie. 

Plus récemment, mon épouse Stéphanie et moi avons commencé à recueillir des chats des rues à partir de 2009, en lien avec Les Chats Libres de Nîmes Agglo dont nous sommes membres d’honneur depuis cette date. Plus d’une centaine de chats sont passés entre nos mains, la plupart ont ensuite été adoptés par d’autres, mais nous conservons chez nous (maison avec jardin, indispensable quand on en a autant) une communauté de 18 chats – tous suivis par des vétos à chaque fois que nécessaire, stérilisés et identifiés, et surtout choyés et couverts de câlins en permanence. 

En 2010, nous avons participé à notre première manifestation anticorrida et en 2011, nous avons rejoint le CRAC (Comité Radicalement Anti Corrida), grande asso anticorrida dont je suis devenu le vice-président début 2013. 

J’ai quitté le CRAC à l’été 2016 avec trois autres administrateurs suite à un désaccord majeur avec son président et j’ai fondé avec eux quelques mois plus tard No Corrida, que je préside, dans le but de pouvoir nous affilier à la FLAC (Fédération des Luttes pour l’abolition des corridas) qui n’a pour membres que des associations et non des particuliers. Je suis également secrétaire fédéral de la FLAC, référent pour la France du RIA (Réseau International Antitauromachie) et membre plénier du WFA (World Fédération for Animals).

Pourquoi avoir choisi ce nom “No Corrida“ ? 

No Corrida est une association à but non lucratif, créée et animée par des militants anticorrida. Partageant les mêmes valeurs et la même vision stratégique, ils ont fondé ou rejoint No Corrida pour pouvoir agir ensemble, de façon structurée et organisée, dans un seul but : l’abolition de la corrida et, plus largement, la lutte contre les sévices et actes de cruauté que subissent les animaux non humains. 

Nous sommes convaincus que seule une modification de la loi, et donc une action cohérente auprès des législateurs (députés et sénateurs), permettra l’abolition de la corrida, en l’occurrence l’article 521-1 du Code Pénal qui dispose que les actes de cruauté et sévices graves à l’encontre d’animaux peuvent être punis de 5 ans d’emprisonnement et jusqu’à 75 000 euros d’amende, mais dont un alinéa dépénalise spécifiquement la pratique de la corrida dans douze départements du sud de la France. Notons que deux d’entre eux, le Var et la Haute-Garonne, n’organisent plus de corridas depuis des années grâce à l’action militante.

No Corrida ne se veut pas une énième association parmi de nombreuses autres, mais un outil efficace pour agir sur des sujets concrets avec nos compétences et notre expérience, en collaboration ou en partenariat avec des structures beaucoup plus importantes, en particulier la Fédération des Luttes pour l’Abolition des Corridas (FLAC) en France et, au niveau mondial, le Réseau International Antitauromachie (RIA), deux organisations fédératrices dont No Corrida est membre.

Le fonctionnement de No Corrida est basé sur l’intégrité, le respect et la confiance, tant en interne qu’avec ses partenaires. Tous les membres de No Corrida sont bénévoles. No Corrida refuse de participer en quoi que ce soit aux polémiques et querelles stériles qui n’ont rien à voir avec la cause animale. Nous voulons consacrer la totalité de nos ressources, de notre énergie et de notre temps à cette cause.

Pourquoi ce nom ? Le slogan « No Corrida » a été utilisé dès les années 80 dans les pays d’Amérique Latine. 

En 2007, PETA a déployé une campagne mondiale intitulée « No Corrida ». 

L’expression a été popularisée en France lors de la manifestation unitaire d’Alès en mai 2013. Pour l’occasion, l’association belge Animaux en Péril avait créé un logo qui est devenu l’emblème de la lutte unie contre la corrida. Imprimé sur de nombreux t-shirts par cette association, ce logo a inspiré directement le premier que nous avions choisi. 

Il a cependant été remplacé au bout de quelques mois par un autre visuel plus moderne et plus original, conçu bénévolement par un graphiste professionnel pour No Corrida.

Quel fut le déclic qui déclencha ton engagement ? 

Le déclenchement, c’est sans aucun doute le happening organisé par le CRAC en 2011 au pied de la statue du torero Nimeño II sur l’esplanade des arènes de Nîmes. Nous étions quelques dizaines, installés sur le sol avec des habits noirs et du faux sang sur le visage pour symboliser les taureaux tués. Au bout de quelques minutes, un millier d’aficionados vociférants qui assistaient au même moment à une corrida sont sortis des arènes avec l’intention évidente de nous lyncher. Nous n’avons dû notre salut qu’à un groupe de gendarmes mobiles venus sécuriser notre action, non pas contre nous mais pour nous protéger des instincts meurtriers des aficionados. Ils nous ont exfiltrés un par un en nous escortant jusqu’à nos véhicules. 

Quelques semaines plus tard avait lieu l’action de Rodilhan, à laquelle j’ai consacré un livre en 2016 qui reprend toute l’organisation de cette action historique lors de laquelle 70 militants anticorrida ont été violemment lynchés, la longue traque des agresseurs et les minutes détaillées du procès qui a abouti à un grand nombre de condamnations pour violences en réunion, y compris à de la prison ferme pour certains (Violences dans les arènes – Rodilhan, le procès, de Roger Lahana. Préface de Jean-Marc Montegnies, Président de l’association Animaux en Péril. Editions du Puits de Roulle, Collection « Être sensible »).

Crois-tu en une possible abolition prochaine de la corrida ? 

L’abolition est une certitude, elle est inéluctable. C’est le sens de l’Histoire, de la civilisation. Cette barbarie injustifiable ne peut pas survivre éternellement, elle ne peut que sombrer dans les poubelles de l’Histoire. D’ailleurs, les corridas reculent partout, dans les huit pays qui les pratiquent encore (Espagne, Portugal, France, Colombie, Équateur, Venezuela, Mexique, Pérou). Elles sont déficitaires quasiment partout, elles ne survivent que grâce à des subventions massives, dont celles de la Politique Agricole Commune en Europe qui soutient financièrement la plupart des élevages de taureaux destinés aux arènes – plus de 130 millions d’euros par an. Tôt ou tard, les corridas disparaîtront pour de simples raisons économiques mais ce que nous voulons, c’est les abolir juridiquement, sinon elles pourraient réapparaître.

Selon toi, que faut-il faire pour lutter efficacement et obtenir des avancées ? 

Notre unique cible, ce sont les parlementaires. Ce sont eux qui font et défont les lois. Nous travaillons avec un certain nombre d’entre eux de façon constructive et organisée. 

En parallèle, nous organisons régulièrement des actions de sensibilisation du grand public à la réalité infâmante des corridas (distribution de tracts informatifs, tenue d’un site web organisé comme un média, signatures de pétitions, etc.), l’idée évidente étant que le grand public, ce sont les électeurs et que s’ils sont majoritairement convaincus qu’il faut abolir les corridas, les députés et sénateurs voteront en ce sens aussi. Tous les sondages vont dans notre sens, atteignant jusqu’à 87% de personnes qui souhaitent la fin des corridas, un pourcentage qui n’a jamais cessé d’augmenter depuis ces vingt dernières années, y compris dans les départements dits taurins (ceux où 130 corridas sont organisées tous les ans, de février à novembre).

Roger Lahana avec Renaud, lors de la remise de la médaille de la ville de Bourges (Crédit photo : Stéphanie Lahana)

Quels blocages ressens-tu ? 

Justement celui causé par un trop grand nombre de parlementaires. Certains d’entre eux sont tout simplement indifférents du fait qu’il n’y a pas de corridas chez eux (rappelons qu’elles ne se tiennent « que » dans 12 départements et sont donc interdites dans 90% du territoire français). D’autres ne veulent pas s’opposer publiquement aux corridas, non pas par conviction mais pour ne pas froisser des élus procorrida qu’ils connaissent. Et d’autres encore, une minorité, sont ouvertement procorrida, élus dans l’un des 12 départements concernés. 

Heureusement, il y a aussi des élus pour tenter de renverser ces blocages. Citons par exemple Samantha Cazebonne, sénatrice Renaissance, et Arnaud Bazin, sénateur LR, qui ont le projet de faire voter une loi interdisant déjà l’accès des corridas pour les mineurs, ce qui entraînerait de facto la fermeture des écoles de tauromachie, des lieux financés par des subventions municipales où des enfants sont formés au métier de torero dès l’âge de 8 ans – il y en a cinq dans le sud de la France, en particulier à Nîmes, Arles et Béziers. 

Ajoutons que tous les élus EELV sont anticorrida, cela figure dans leur charte. Cela va aider le moment venu. En revanche, beaucoup au PS, au PC, à LFI et chez LR sont procorrida. Du côté du RN, la situation est effroyablement hypocrite : les élus des départements taurins se disent procorrida, ceux des départements non taurins se disent plutôt anticorrida.

Mais le principal obstacle est au sein du gouvernement, où plusieurs ministres sont ouvertement procorrida, à commencer par Eric Dupont-Moretti qui a fait savoir à plusieurs reprises qu’il ferait tout pour empêcher une loi d’abolition d’être votée. Certains autres ministres sont heureusement de notre côté.

Quel est ton plus grand regret vis à vis de cette cause ? 

Qu’elle soit encore nécessaire au 21e siècle, alors qu’il s’agit d’un vestige d’âges sombres qui auraient dû totalement disparaître.

Et pour finir sur une note gaie, quelle a été ta plus grande joie ? 

La radiation de la corrida de l’inventaire du Patrimoine Culturel Immatériel de la France. Une action menée par le CRAC et Droits des Animaux avec un groupe d’avocats particulièrement talentueux. 

Partagez pour les animaux
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *